samedi 3 septembre 2011

BORN IN THE USA






Après une préparation tonitruante, et un début d’Euro qui ne l’est pas moins, l’Equipe de France semble s’être trouvé le collectif et l’équilibre qu’elle cherchait depuis maintenant des années. Les bribes d’une organisation cohérente et efficace entrevues au Mondial de l’an dernier ont été balayées au profit d’un nouvel ordre et d’un nouveau projet qui semblent tous les deux bien plus précis et structurés que ce que Vincent Collet avait pu proposer jusque là. Un projet qui tient pour la première fois d’une donnée primordiale : l’intégration des joueurs NBA.

En effet, la France présente la plus grosse diaspora au sein de la ligue Américaine, avec un total de 12 joueurs, soit l’équivalent d’un roster complet pour une compétition internationale. Parmi ces 12 expatriés, une majorité de joueurs intégrés dans les rotations, quoiqu’on veuille en dire. Il va donc de soi qu’une telle quantité d’éléments du groupe France doit être mise en condition d’exprimer pleinement ses capacités. D’où ce constat : l’équipe de France joue comme une équipe NBA.

Mais au fait, ça veut dire quoi « jouer comme une équipe NBA » ? En fait, si l’on confronte les deux écoles, jeu NBA et jeu FIBA, sans s’intéresser à tous les aspects qui font de l’Atlantique une frontière entre ce qu’on pourrait appeler deux sport différents (pas le même terrain, pas les mêmes règles…), on peut s’attarder tout simplement sur l’organisation d’une équipe et sur le profil de ses joueurs. Ce sont ces deux dimensions sur lesquelles on va se baser.

Le système américain a ceci de différent avec l’école européenne, particulièrement concernant les pays d’ex-URSS et d’ex-Yougoslavie, c’est qu’il tend à la formation de joueurs à des postes précis, les limitant ainsi à l’apprentissage d’une palette de compétences réduite au strict cadre de leur position. Mouvements au poste pour les intérieurs, éventuellement un shoot au poste pour les plus adroits d’entre eux, tirs à trois points, en sortie de dribble pour les extérieurs. Les apprentissages tardifs d’autres capacités par un Karl Malone, un Amar’e Stoudemire –shoot à 5m- un Kobe Bryant ou un LeBron James –jeu poste bas- sont là pour illustrer cette tendance.

Une tendance qui, même si on l’annonce récente, ne date pas d’hier. En se penchant sur les intérieurs d’antan, dur d’en sortir un du lot qui se démarquait par son shoot soyeux et sa capacité à s’écarter. Tout juste peut-on regretter la trop faible proportion de pivots capables de réceptionner la balle au poste, puis de la repasser à l’extérieur sans la paumer une fois sur deux. De la même façon, peu d’ailiers au cours des âges sont réputés pour leur arsenal dévastateur en post-up, et il est difficile de mettre la main sur un meneur connu pour être capable de faire gagner un match tout en marquant moins de dix points.

Ce calibrage des joueurs qui sortent du moule américain vient de l’organisation des équipes, elle-même en partie due au dogme des statistiques. Une équipe NBA est hiérarchisée, et chaque joueur a un rôle clairement défini, une tâche à accomplir avec le devoir d’éviter de trop en faire. Le meilleur exemple reste Dennis Rodman, qui malgré une saison à la fac à plus de 25 points de moyenne -en NAIA, il est vrai- a choisi de baser sa carrière NBA sur le rebond et la défense, au mépris des autres domaines du jeu, avec le succès qu’on sait.

A l’inverse, l’école européenne tend à donner à chaque jeune basketteur un set de fondamentaux Basket global, peu importe son profil physique. Bien avant l’explosion de Dirk Nowitzki au plus haut niveau, des générations d’intérieurs capables de shooter à trois points existaient déjà, et ce n’est qu’après que le grand blond se soit imposé en NBA que les franchises américaines se sont intéressés à ce type de joueur que leur sol était incapable de produire. Le problème étant que depuis des décennies le système européen sortait une flopée de grands blancs qui shootaient bien, et alors que chaque GM rêvait d’avoir le nouveau Dirk, il pouvait aussi bien se retrouver avec un Nikoloz Tskitishvili ou un Darko Milicic.

La France est incapable depuis longtemps de former un Dirk Nowitzki. Le profil des joueurs qui sortent de la formation hexagonale se rapprochent plus des standards NBA : athlétiques, bons défenseurs, souvent portés davantage sur le scoring que la passe. C’est en partie pour ça qu’il n’y a pas de Français pour briller en Euroleague, et que l’équipe de France se retrouve donc pourvue d’un groupe mélangeant NBAers de diverses importances et joueurs européens mineurs.

Il va donc de soi que pour tirer le meilleur du groupe, il va falloir créer autour de ces joueurs un cadre dans lequel ils pourront s’exprimer. Comme on l’a dit plus tôt, la différence majeure entre équipes NBA et FIBA reste l’organisation. Là où une nation européenne comme la Lituanie va se montrer intransigeante derrière l’arc, collective -sept joueurs à plus de 7 points contre la Turquie- et où chaque joueur du meneur au pivot pourra être du jour au lendemain le héros du match, la France va adopter un système NBA très hiérarchisé, avec un schéma et des rôles à ne pas dépasser.

Cette organisation est assez classique. Une star, souvent un extérieur, chargée de mettre beaucoup de points et de garder beaucoup le ballon afin de gérer le jeu. Avec elle, une deuxième option offensive, de préférence un intérieur pour équilibrer. Ensuite, un deuxième intérieur chargé de défendre, contrer, prendre des rebonds, et finir près du cercle avec un haut taux de réussite. Autour, une troisième option offensive qui se substituera tour à tour à la première ou la deuxième option, et sera capable de sortir quelques gros matches de façon ponctuelle. Le cinquième joueur de base aura lui la tâche de défendre correctement et de rentrer ses shoots ouverts.

Après, chaque équipe a le loisir d’ajouter autant de role players qu’il lui plaira. Un intérieur capable de scorer, de contrer à tout va pendant un quart d’heure, de prendre des rebonds offensifs, ou même plus simplement de faire des fautes. Un ailier qui défend super bien, ou un tueur à trois points, ou un autre sans shoot capable simplement d’attaquer le cercle et de faire des gros dunks en contre-attaque. Un meneur vétéran qui pose le jeu, ou un combo guard qui monopolise le ballon. Il y a 7 joueurs à rajouter, le reste appartient au mode association de 2K.

Pour ce qui en est de l’équipe de France, on a choisi d’appliquer ce schéma d’équipe hiérarchisée. La star, c’est facile, c’est Tony Parker. Pour le moment meilleur marqueur de l’Euro, et de loin, il prend deux fois plus de shoots que n’importe quel autre joueur de l’équipe. On ne l’a jamais vu aussi bon avec l’équipe de France, peut-être même jamais aussi bon tout court si l’on écarte sa saison 2009. Problème, comme chaque franchise player NBA, son rôle c’est de marquer beaucoup, et cela l’amène en dehors de son champ de compétence.

Comme un Dwyane Wade ou un Allen Iverson, obligés en leur temps de prendre 3 shoots longue distance par match avec un pourcentage de réussite famélique, Tony P doit s’employer à trois points alors qu’il en tente moins d’un par match avec les Spurs. Pour le moment 5/9, mais c’est sans doute concernant cette donnée qu’il va falloir s’inquiéter pour la suite. TP arrivera sans problème à mettre 20-25 points par match même sans shooter à trois points, pourtant le fait qu’il soit forcé à le faire prouve que l’équipe est trop dépendante de lui. Comme une équipe NBA de sa star.

La deuxième option offensive, on dira que c’est Boris Diaw. Pas en terme de scoring, bien sur, mais en terme d’emprise sur le jeu. On le sait, Boris Basket n’est pas un scoreur, même si on se rend compte match après match qu’il est plus encore que Traoré l’intérieur capable de marquer régulièrement dos au panier. Pourtant, comme l’a fait remarquer Jacques Monclar, dès que lui et Parker sont en même temps sur le banc, offensivement c’est la panique. Cela prouve bien qu’à l’intérieur et même pour le jeu en général, Diaw est la deuxième option offensive de l’EdF. En l’absence de Parker, les ailiers et même les meneurs se débarrassent rapidement de la balle pour la donner au Bobcat.

Si Boris est la deuxième option, Noah est donc l’intérieur rebondeur, comme aux Bulls. Pas la peine de tenter de le faire jouer dos au panier : si un intérieur doit le faire, ce n’est absolument pas lui. Contre l’Allemagne, il a voulu outrepasser son rôle de défenseur et a cédé au défi de Kaman pour tenter de le poster, avec pour résultats des hook shots directement sur la planche, et surtout une déconcentration en défense, où il se faisait enfoncer d’un bon mètre avant de se mettre à bloquer l’Allemand, ce qui a rappelé l’époque où on le surnommait encore « Fake Hustle ». Son rôle dans l’équipe en préparation a été de prendre des rebonds, finir près du cercle et de temps en temps placer un petit hook.

Troisième option offensive, Nicolas Batum. Il shoote à trois points quand on lui en donne la place, même s’il semble prendre en confiance et chercher davantage à créer ses shoots lui-même. L’équivalent d’un Dorell Wright aux Warriors en somme, soit un peu plus offensif que son rôle à Portland et un peu moins défensif que celui de l’ailier californien. Proche de ce qu'on a toujours attendu de Mike Piétrus en fait. A ses côtés, Mike Gelabale, le « know-why-you’re-open guy ». Au programme, défense, spot-up shooting et paniers en contre-attaque.

Sur le banc, des role players qui jusque là accomplissent leur devoir avec plus ou moins de réussite. Au top, Kevin Séraphin, défense et rebonds offensifs comme défensifs. Ali Traoré, scoring intérieur. Steed Tchicamboud, dans un registre proche de ce que Yannick Bokolo aurait du apporter, défense extérieure et tirs à trois points ouverts –reste à régler ce problème de tir à 9 mètres face au panier, incompréhensible. Correct, Flo Piétrus, capable d’être dur sur l’homme mais aussi transparent en attaque. Moins bien, Andrew Albicy, qui devrait apporter une touche de gestion au poste de meneur mais son expérience un peu faible le pénaliste face aux habitués des joutes européennes. Sa défense sur l’homme reste cependant du très très haut niveau. Nando De Colo est moins bien aussi dans son rôle de combo guard scoreur : à la mène comme à l’arrière, il se débarrasse trop vite du ballon, refuse trop de shoots et peine à imposer sa vitesse. A sa décharge, il est bien meilleur en défense qu’il n’a pu l’être par le passé.

Le roster complété, il manque un tueur à trois points qu’aurait pu être Edwin Jackson et un contreur qu’aurait du être Ronny Turiaf. Cela dit, l’ensemble avec Charles Lombahe-Kahudi reste cohérent et très orienté sur la dimension athlétique. Vincent Collet n’est pas un idiot et oriente donc son projet de jeu sur la défense et le jeu rapide. Là encore, on peut être surpris au vu du début de l’Euro. Aussi athlétiques que soient ses joueurs, leurs capacités en défense sur l’homme sont inégales et défendre en individuel pénalise les moins doués d’entre eux de ce côté du terrain –Traoré, De Colo.

On peut même voir que le changement de statut d’un Batum pèse sur son implication défensive, et l’absence d’un Ronny Turiaf laisse trop d’espace sous le panier. 3 contres en trois matches pour l'ensemble de l'équipe, c'est le plus faible total de l'Euro, et c'est moins que Bargnani. Que Bargnani. Cela dit, les rotations et les aides défensives sont d’un très bon niveau et si la défense laisse parfois trop de place aux shooteurs, c'est pour mieux les éloigner de son cercle. L’intensité et la dimension athlétique de l’ensemble épuisent les adversaires qui s’essoufflent au fil du match et calent souvent en deuxième mi-temps.

De la même manière, le jeu offensif basé sur les contre-attaques rapides prend sa pleine mesure à partir du troisième quart-temps où les adversaires moins physiques commencent à accuser le coup face à la vitesse d’un Parker ou d’un De Colo et l’agressivité d’un Batum, Noah ou Séraphin. Pour pouvoir s’économiser un peu et juguler la vitesse des Français, c’est de la zone pendant 40 minutes pour pénaliser une équipe en mal de shooteurs. Gelabale, Parker et Batum ont tenu la baraque de ce côté-là, mais le meneur des Spurs et l’ailier des Blazers reviendront probablement un jour ou l’autre à de plus habituels rendements.

Plus encore, l’attaque de zone implique du jeu au poste, ce qui donne trop de responsabilités à Noah, et pas assez à Diaw qui n’a pas été trouvé assez aisément jusque là mis à part contre la Lettonie où il a planté 14 points. Deuxième option offensive de l’ensemble, s’il se retrouve coupé du reste de l’équipe une grosse dimension de l’attaque disparaitra et Parker, qui lui peut jouer même coupé de ses coéquipiers car il démarre les actions balle en main, devra marquer encore davantage et par conséquent à un taux de réussite moindre.

Comme une équipe NBA, la France a hiérarchisé son équipe, et donc donné à ses adversaires un moyen de la stopper, isoler ses principales options offensives du reste de l’équipe. Comme en NBA, ça peut fonctionner si on limite la star, ce qui n’a pas été le cas jusque là, faute d’adversité pour Tony Parker. Heureusement pour lui, le niveau qu’il affiche actuellement semble bien supérieur à ce que ses homologues européens peuvent lui opposer –pas de Diamantidis, par exemple.

Cette organisation et ce jeu atypique va gêner bien des adversaires, et surtout les user au vu de l’intensité demandée. Guyom de Basketsession avait très justement qualifié l’équipe américaine des J.O. de Pékin de « machine à courir », et on peut appliquer ce constat à l’équipe de France, qui ne pourra pas être contenue tout au long d’un match par des équipes aux rotations limitées. En effet, même si le deuxième cinq de l’EdF marque peu de points jusque là, il use physiquement ses adversaires et a son importance au vu des prestations françaises passées 20 minutes de jeu. Un Kevin Séraphin par exemple, s’il joue peu en NBA, a pu bénéficier de la préparation physique –et des prods- des Wizards ce qui lui permet de peser lourd face à une raquette européenne. C’est l’identité de cette équipe : user ses adversaires par l’intensité demandée, même si cela doit se faire au détriment de la qualité du jeu.

Vincent Collet a toujours été un fervent partisan des systèmes demi-terrain, et il a mis longtemps à se faire à l’idée qu’il devait adapter ceux-ci à son équipe et non l’inverse. Comme pour le Heat, si on a les meilleurs joueurs du monde en un-contre-un, et bien il faut jouer des un-contre-un. Si on a des joueurs athlétiques et peu de shooteurs, on ne va pas s’entêter à créer des systèmes pour des positions de shoot extérieur. L’équipe de France est à présent basée sur l’intensité physique à défaut de défense infranchissable, et sur une attaque axée sur Tony Parker à défaut de systèmes d’attaque placée.

Peu importe le niveau de l’opposition, ce type de jeu est inédit en Europe et va gêner toutes les équipes quelles que soient leurs ambitions. Aucune équipe n’a les moyens physiques de rivaliser avec la France sur 40 minutes, à part l’Espagne qui a un banc suffisamment long pour faire souffler ses joueurs sans affaiblir son 5 sur le terrain. Souviens toi l'été dernier, les derniers champions du Monde n’ont pas brillé par la fluidité de leur jeu, mais ils ont annihilé tous leurs adversaires qui, s’ils ont fait bonne figure pendant une durée limitée, ont fini par exploser face à la dimension athlétique américaine. En plus de ça, ils avaient un joueur innarêtable en la personne de Kevin Durant. Une équipe estampillée NBA, écrasant ses adversaires au physique avec une star archi-dominatrice ? On tient quelque chose…


Pour illustrer tout ceci, les statistiques de l'Equipe de France après trois matches. Malgré un match raccourci contre l'Allemagne, c'est Diaw qui prend le plus de shoots après Parker. Noah et Séraphin perdent plus de ballons que Diaw et Traoré en cherchant à jouer dos au panier. De Colo et Albicy perdent trop de ballons en cherchant à s'en débarrasser.

(Cliquez pour agrandir)


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