Qu’est ce qui est le plus fascinant chez Allen Iverson ? Est-ce le fait qu’il se soit imposé comme un des meilleurs basketteurs de tous les temps malgré sa petite taille ? Est-ce son jeu spectaculaire, rapide et élégant ? Est-ce l’image qu’il a réussi à créer durant toute sa carrière ? Je fais partie de ceux qui auraient choisi la troisième proposition. Je fais également partie de ceux qui ont d’abord essayé de réussir les dribbles les plus fous avant d’apprendre à éviter de faire des marchés. De ceux qui ont toujours tenté de crosser leur adversaire avant de comprendre qu’il pouvait y avoir une autre manière de gagner un face-à-face. Je fais partie de ceux qui avaient des tresses sur la tête avant même leur premier entraînement, commencé avec un bandeau vissé sur le front.
Avant même de l’avoir vu jouer un match, je savais déjà qu’Iverson était mon joueur préféré. Sa dégaine, son passé, son gabarit, son style, tout en lui faisait en sorte que j’allais l’apprécier. Moi, comme des millions d’autres. Simplement, le numéro 3 de Philadelphie était un personnage en qui on pouvait se retrouver. Parce qu’il venait de la rue, et parce que ça se voyait. Il était bien plus simple de s’identifier à lui qu’à un Jordan qui jouait au golf et fumait le cigare. Et il était bien plus fascinant que d’autres joueurs au même type de passé ou de look, parce qu’il était tellement talentueux.
Au-delà de ce talent de basketteur, c’est l’esprit de la rue qui transparaissait dans le jeu d’Iverson. Chaque dribble qui touchait le parquet l’imprimait d’une marque comme un tag sur un arrêt de bus. Chaque appui était un pas de danse, à la fois invitation et provocation. Chaque face-à-face transpirait le défi, le besoin de s’imposer, de se faire reconnaître. Quand il a crossé Jordan, ce n’était pas seulement un jeune joueur qui enfumait le meilleur basketteur du moment, c’était un gars de la rue qui venait marcher sur les plates-bandes de ceux qui avaient réussi. Celui qui a amené au sommet le streetball jusqu’à ce que celui-ci se substitue au Basket de papa. En ce sens, Allen Iverson s’est imposé comme un idéal d’ascension urbaine, à la manière d’un Tony Montana.
Ces deux personnages, bien qu’éminemment différents, répondent tous deux au même schéma ascensionnel si fascinant. Rien ne les prédestine à une réussite dans leur milieu, et encore moins une réussite rapide. Un immigré cubain chétif qui devient le parrain de la drogue à Miami, un basketteur d’1m83 qui devient MVP de la NBA, ça a autant de chances d’arriver qu’un mec qui gagnerait un procès pour viol en se pointant au tribunal avec un tatouage Thug Life. Non, vraiment, la carrière d’Iverson est un récit digne d’un scénario de GTA.
Car comme chacun sait, ça commence plutôt mal. Incarcéré suite à une émeute à caractère racial dans un bowling, narrée dans l’inégal No Crossover de Steve James (voir plus bas), il est gracié suite à l’élection d’un nouveau gouverneur, Douglas Wilder. Ses comparses, eux, resteront en cabane. « J’ai les mains faites pour l’or et elles sont dans la merde ». Sans doute que Wilder a pensé que la maxime d’Al Pacino s’appliquait au meneur lycéen, mais pas à ses camarades. Le mouvement de protestation contre l’incarcération des jeunes afro-américains impliqués dans l’affrontement s’arrêtera lui aussi peu de temps après la libération de celui qu’on appelle pas encore The Answer. Comme un symbole de seconds rôles dont personne n’a rien à foutre.
S’en suivent une carrière universitaire plus que convaincante et des débuts professionnels qui ne le sont pas moins. Jusqu’au chef-d’œuvre inachevé du maestro de Philly. La saison 2001. Une saison qui renforcera davantage la dimension street d’Iverson, en lui donnant non plus une dimension stylistique, qu’il avait déjà relativement imposée, le jeu en un-contre-un s’étant alors amplifié au sein de la NBA ; mais une dimension politique, grâce notamment à ses coéquipiers.
En effet, cette équipe des Sixers qui remporta 56 matches et parvint jusqu’en finale n’était pas une grosse équipe –la preuve en est qu’ils ne rééditeront jamais cette performance- mais une équipe de besogneux. Un peu comme des ouvriers en grève, toujours près à donner de leur sueur, près à se battre avec leurs armes face aux gros qui les dominent. Un groupe né sans véritable talent, mais avec de la détermination, et dur au mal. Et au milieu de ce groupe, le génie. Celui qui fera d’éclatantes provocations, qui fera briller chacun de ses compagnons d’infortune, jusqu’à, comme toujours malheureusement, l’échec final après avoir fait –à peine- trembler les puissants d’en face. Un échec amené par un exploit qui ne saura plus être recréé par la suite. C’est la nature même d’un exploit, non ?
La suite de la carrière d’Iverson sera une succession d’échecs collectifs, de Philadelphie à Denver, où il ne parviendra plus jamais à mobiliser autour de lui, malgré des performances individuelles toujours au top mais devenues insignifiantes. Comme si le leader social parvenait toujours à amener du monde dans la rue, mais sans la force mentale ni la conviction que cela pouvait réussir. Et au sein même de ses rangs, on n’y croit pas davantage, mais on y va juste pour le fun. A l’image des luttes sociales.
Puis vient la fin, avec le départ pour Detroit. Iverson est usé, mais ne sait faire qu’une chose, ce qu’il a toujours fait. Avoir le ballon, dribbler, marquer, passer. Comme Montana à la fin de Scarface, il s’est imposé avec son style sans calculer, avec le culot et surtout l’ambition de la rue. Et comme Montana, il n’a pas cherché à construire autour de ça, et se retrouva fort dépourvu quand la bise fut venue. Car les deux ont créé un modèle, et quand le Cubain se fait flinguer comme il en a flingué tant, Iverson se fait crosser comme il en a crossé tant.
L’histoire de la lutte perpétuelle de la rue. Manger et être mangé. Imposer son modèle pour se le faire imposer ensuite. Hier, Iverson mettait plus de 20 points à Stuckey avec les Nuggets, aujourd’hui, Stuckey lui fait mordre la poussière. Hier, Ze Pequeno cannait les gamins de la Cité de Dieu, aujourd’hui, ils lui tirent dessus. La fin de carrière du fantasque arrière au bandeau n’a rien de honteux, de triste. C’est la logique fin de toutes les histoires de ceux qui viennent de la rue, s’imposent, avant d’être écrasés à leur tour.
Alors que dire d’Iverson ? Est-il le premier joueur issu de la rue en NBA ? Non, c’est évident. Est-il le premier issu de la culture Hip-Hop ? Non, plus. Est-il le premier basketteur de premier plan issu de la culture Hip-Hop ? C’est déjà mieux, mais non, un joueur comme le Shaq l’a précédé. La différence majeure réside dans le fait qu’Iverson avait le physique et la dégaine d’une petite frappe de quartier là où O’Neal faisait davantage penser à un gros pimp de LA.
C’est tout ça qui a fait qu’Iverson est devenue l’icône street dans le Basket, et au-delà. Son histoire, son apparence, son style de jeu. Un tel personnage a forcément dérangé, et dérange encore aujourd’hui, à en lire certains journalistes. La NBA a censuré son disque, a créé le Dress Code rien que pour lui. Par son univers, ses fréquentations et tout ce qu’il représentait, il est devenu à la fois un élément dangereux pour la vente de la NBA auprès du grand public, et une caution marketing envers la rue. Plié aux règles, sponsorisé par une grande marque, est-ce ça être un rebelle ? Le paradoxe de la réussite qui succède à la misère. Comme si un rappeur posait un son où il racontait qu’il se marre au volant de sa Mercedes Benz. Mais maintenant c’est bon, on sait comment ça se termine de toutes façons.
"Any time y'all wanna see me again
Rewind this track right here, close your eyes
and picture me ballin’"
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and picture me ballin’"
Je parlais plus haut de l’épisode des 30 for 30 d’ESPN, No Crossover. J’ai vraiment eu une impression mitigée vis à vis de celui-ci. La perspective du réalisateur, il l’annonce, est essentiellement sociologique, montrer comment le procès d’Iverson et ses collègues a été ressenti dans la ville.
Les interviews sont intéressantes, on ressent assez bien les impressions des différents intervenants, mais cependant, plusieurs aspects sont occultés, dus à l’angle choisi par Steve James. En effet, on n’a pas vraiment d’informations sur la réaction de la population blanche à ce procès, ni aux manifestations de soutien aux accusés. On n’a pas non plus de réaction sur la suite des évènements pour ceux qui n’ont pas eu la chance d’être graciés.
En revanche, on a quelques passages dont on aurait pu aisément se passer, notamment quelques uns concernant la famille du réalisateur ainsi que lui-même.
Le problème majeur est en fait le manque d’un point de vue affirmé par rapport à l’évènement, qui aurait alors autorisé l’occultation des éléments évoqués ci-dessus. En voulant se montrer neutre, le réalisateur livre un tableau au final assez banal et assez attendu de la ville, en plus d’être incomplet. Il ne décolle jamais du fait d’une ambition un peu réduite, probablement liée au fait d’être produit par ESPN et donc moins libre dans le ton.
Cela dit, le documentaire est assez informatif a défaut d’être polémique, ce qui est, à mon sens, la dimension principale d’un film qui se veut sociologique. Les informations sont nombreuses et claires et le fait que le réalisateur n’ose pas montrer son penchant -pourtant visible- dans cette affaire permet une reconstitution assez fidèle, du moins à mon avis, de l’ambiance ainsi que des évènements en eux-mêmes.
A voir pour se faire son propre avis donc, et à voir aussi la longue liste élaborée par BasketMan.
Un des meilleurs papiers au sujet d'Iverson qu'il m'ait été donné de lire.
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