lundi 12 avril 2010

MON NOM EST PERSONNE



A peine l’entre-deux joué, il me colle déjà. Une vraie sangsue. Le match vient de commencer et je suis obligé de me donner à fond rien que pour pouvoir me démarquer. C’est bon, j’ai la balle, mais il me rentre dedans. Une faute sur lui, c’est bien, il va me foutre la paix maintenant. Remise en jeu, il me percute une nouvelle fois, mais pas de coup de sifflet. Ca commence à m’énerver, prochaine action je lui rentre un shoot sur la tête, il va comprendre à qui il se frotte. Les déplacements des joueurs, je m’en tape. Il faut que je lui mette ce shoot dessus. Raté. Contre-attaque, il m’enrhume méchamment et craque un dunk tranquille. Il faut pas que je me laisse bouffer comme ça. Cette fois, j’attaque le cercle direct. Il m’envoie le cul par terre avant même que j’ai pu faire un pas. Remise en jeu. 3e faute, ce coup-ci j’en suis débarrassé pour de bon. Quoi ? Il reste sur le terrain ? Il va être long ce match…

Mais au fait, c’est qui lui ? Il peut prendre différents noms. Arron Afflalo, Trevor Ariza, Dahntay Jones, Nicolas Batum… Contrairement aux défenseurs bien connus des cadors de la ligue, ils ne vont pas garder la star adverse tout le match. Ils vont jouer une vingtaine de minutes, peut-être plus, et ils peuvent se donner à fond du début à la fin. Pire, sachant qu’ils ne vont passer que la moitié du match sur le parquet, ils peuvent en prendre des fautes, ils s’en foutent. Finale de conférence Ouest, l’an dernier, Jones défend sur Bryant. Au bout de 3 minutes il sort pour 4 fautes. Et alors ? Son but, c’est d’empêcher Kobe de rentrer dans son match. S’il est dans le starting five, c’est simplement pour que JR Smith puisse sortir du banc. Du coup, il sait que Smith va rester une demi-heure et lui pas longtemps. Il se dépense sans compter, et peut se permettre quelques coups d’éclats en attaque vu que personne ne s’occupe de lui.

Ce type de joueur complète souvent son agressivité et sa bonne défense homme-à-homme par une qualité offensive que personne ne connaît en dehors de son équipe. Super shooteur à 3 points pour l’un, attaque de cercle surpuissante pour l’autre. Sur un soir, ça peut donner une avalanche de tirs longue distance qui vient de nulle part, ou une réussite aux tirs hallucinante suite à 5 ou 6 dunks sans opposition. Car pour le coach adverse, quelle stratégie adopter ? Beaubois commence à prendre feu derrière l’arc, quelle va être ma décision ? Si je défends plus sévèrement sur lui, je laisse Terry ou Butler libres, et eux ne vont pas me rater. Si je laisse les choses telles quelles, qui sait s’il n’est pas capable de continuer à planter toute la soirée ? Et bien souvent, on choisit de ne pas inquiéter cet inconnu, et tant pis s’il sort le match de sa vie. Rodrigue Beaubois, 27 mars 2010 : 40 points en moins d’une demi-heure avec 9 tirs primés, record rookie.

Évidemment, ça ne va pas se passer comme ça tous les soirs. Sinon tous ces joueurs seraient déjà des all-stars. Mais leur apport sur de courtes séquences n’a pas de prix en playoffs. Les Lakers vont probablement l’apprendre à leurs dépens. Ils ont lâché Trevor Ariza pour Ron Artest, mais malgré des qualités similaires, grosse défense sur l’homme, bons shooteurs et athlétiques, les deux ailiers sont totalement différents dans leur apport. Artest, c’est de la défense tout le match, et une implication dans les systèmes offensifs. Ariza, c’est coller la star adverse en défense, quitte à faire quelques fautes, ce qu’Artest ne peut pas se permettre vu qu’il doit être présent tout le match et surtout dans le money time. Ariza peut se permettre d’être sorti avant la fin des 48 minutes, ce qui lui permet d’utiliser à fond ses qualités athlétiques face à une défense qui ne se méfie pas, d’où des shoots longues distance assassins, parfois dans les moments-clés, mais aussi des dunks qui ne souffrent d’aucune contestation.

Après, niveau défense indiv’, Artest est bien au-dessus du feu follet qui officie maintenant du côté de Houston. Mais le fait d’être si reconnu au sein de la ligue pour cet aspect de son jeu rend les adversaires plus méfiants, ce qui n’était pas le cas pour un joueur comme Ariza au cours de la dernière postseason. Bien sur, avoir un défenseur de la trempe d’Artest est une plus-value incroyable face à une équipe guidée par un scoreur de haut niveau. Mais se priver du rendement séquentiel d’un facteur X athlétique est un tort qu’on paye tôt ou tard en playoffs. Même si celui-ci est cantonné à un rôle ingrat de chien de garde/coups de putes pour empêcher la menace offensive adverse de rentrer dans son match, même s’il n’est qu’un faire-valoir pour qu’un 6th man sorte du banc jouer autant qu’un titulaire, même si son apport au scoring peut être énorme un soir et minable le lendemain, ce joueur pèse sur une série. Le chien de garde du franchise player peut se faire bouffer à chaque match -RIP Tayshaun Prince- et précipiter la chute de son équipe, alors que si Dahntay Jones se prend 4 fautes en un quart-temps, le cours de la partie ne va pas en être radicalement changé.

Il n’y a pas vraiment d’appellation particulière pour ce type de joueur. On dit souvent "facteur X", mais je pense que cette expression ne retranscrit que les stats soudaines qu’un gars peut sortir de nulle part, et pas le travail de l’ombre qui est le sien chaque soir : se donner à fond pour pourrir les adversaires des deux côtés du terrain et surtout défensivement au début du match. Martell Webster des Blazers est un facteur X : il peut prendre feu d’une minute à l’autre, genre mettre un 3 points ultra-clutch après avoir raté 8 tirs de suite. C’est son taf, prendre des tirs, et après inch’Allah, on verra bien si ce soir ça rentre. Le type de joueur dont je parle peut faire ce genre de perf, mais sa tâche première c’est de défendre. Afflalo, c’est 44% à 3 points, JR Smith 34%. Pourtant, Smith prend 2 fois plus de shoots et 2 fois plus de shoots derrière l’arc que son compère. Tout simplement parce qu’Afflalo n’est pas là pour shooter, même s’il sait le faire. Il est là pour défendre et permettre à Smith de sortir du banc. Ce rôle aussi ingrat que primordial mérite bien plus de considération que celui de "facteur X".

Je pourrais proposer un nom pour le taf que font tous ces joueurs, mais j’ai pas super envie. Peut-être une autre fois. Ici, un simple rappel du boulot qu’ils abattent tous les soirs, et de leur importance au sein d’un collectif. Chacun son rôle, même si tu as le plus moche, tu le fais à fond. Rien à perdre. Et au final, ce seront peut-être eux les héros d’une série de playoffs. Une interception décisive, un shoot assassin… Qui sait ? En tous cas, pendant que les stars s’occupent de la finition, du clinquant, ils bossent sur le sale et mettent les mains dans la merde pour apporter leur pierre à l’édifice d’une épopée post-saisonnière quand d’autres empilent les briques plutôt que les points. Rendez-vous en playoffs, on verra bien à la sueur de quels fronts seront gagnées les bagues.

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