Bon pour le portrait, on va faire vite, LeBron est une sorte de Magic Johnson en plus scoreur. Un avantage physique indéniable pour sa position qui aide en défense et en drive, mais surtout une vision de jeu de malade qui permet de distribuer caviar sur caviar. Différence notable, James n’est pas un meneur, et a la responsabilité d’assurer 30 points par soir, ce qui l’a poussé à bosser son shoot et l’empêche de faire comme son illustre prédécesseur, se concentrer sur la mise sur orbite de ses coéquipiers. En même temps vu la gueule des équipes qui ont accueilli l’Elu, que ce soit en high school ou pendant ses premières années NBA, il pouvait difficilement en être autrement. Voilà pour les présentations, concentrons-nous maintenant sur ce qui fait jaser dans les HLMs et les chaumières.
Evidemment, LeBron James, on connaît. L’enfant d’Akron, l’âme de Cleveland, l’Ohio tout-puissant. Sauf que ça c’était il y a une semaine. Maintenant, c’est l’infâme, le pourri, le traître, et on peut difficilement dire que le King n’a pas donné le bâton pour se faire battre. S’affichant devant tout le pays pour annoncer sa destination finale, il l’a mise bien profond à son équipe qui n’était en rien au courant de ses plans. Cleveland retourne à son statut de blaireau que seul l’Elu avait le pouvoir de dissiper. En fait, c’est quoi les Cavs ? The Shot, 1989. Rien d’autre. Si, maintenant, la franchise qui a drafté LeBron James. Wow. Beau palmarès.
Car si les Cavaliers ont réussi à se construire une histoire qu’ils espéraient bien plus longue, ils le doivent uniquement à leur ailier vedette. Arrivé en 2003 dans une équipe de branques, il les a amenés en finale quelques années plus tard, comme Iverson à Philly. Et il a progressé, si bien que des joueurs ont eu envie de rejoindre une franchise qui ne les aurait jamais tentés. Les Cavs se sont rendu compte que James représentait une puissance d’attraction considérable, ont pu entourer leur star d’une équipe digne de ce nom afin de le remercier. Mais James est devenu un phénomène médiatique encore plus grand qu’on aurait pu l’imaginer, alors les Cavs ont continué. Shaquille O’Neal contre rien. Antawn Jamison contre rien. Facile quand on a LeBron.
Sauf que finalement, Cleveland n’a rien gagné. Et James en a eu marre. Marre de joueurs qu’il contribue à surestimer mais dont les limites ressurgissent en playoffs. Un peu comme une table qu’on répare à la va-vite mais qui finit toujours par s’écrouler au bout d’un certain temps, inexorablement. Surtout marre d’une franchise qui se repose uniquement sur lui pour son recrutement. Les joueurs viennent dans l’Ohio pour jouer avec le King, et ceux qui sont suffisamment bons pour ne pas éprouver le besoin d’évoluer à ses côtés ne veulent pas venir. Chris Bosh veut jouer avec James, mais il n’est pas prêt à s’enterrer chez les bouseux de la NBA pour tout l’or du monde. Même ses meilleurs potes refusent de venir dans son trou, alors LeBron se rend à l’évidence : il n’aura jamais de Pippen, jamais de Bryant à ses côtés.
Il est condamné à gagner tout seul, pour la légende. Pour sa légende. Et il veut être un joueur légendaire. Mais à quel prix ? Parce que jouer avec des losers, il a déjà donné. Il a tant donné que jouer au basket ne l’amuse plus. Gagner un titre sans s’amuser, avec des mecs qu’on ne peut plus encadrer, cela vaut-il le coup ? Être considéré comme un joueur légendaire après sa retraite, c’est cool, mais ça ne sert à rien si on n’a pas pu en profiter quand on était ce joueur. LeBron veut la gloire et le kif. Le beurre et l’argent du beurre. Tant pis pour le cul de la crémière, il laissera les dollars de côté.
A l’heure où on montre du doigt les sportifs surpayés, désintéressés du jeu, LeBron fait un choix surprenant. Il part pour jouer avec ses potes. Pour s’amuser. Ce qui est le plus important dans un sport co. En faisant ce choix, James sait qu’il baise totalement son image auprès des fans et des sempiternels polémistes « Qui a la plus grosse ? ». Il ne sera pas Jordan, il ne sera pas Bryant, voilà, et finalement on s’en branle. Parce que le Basket est un sport d’équipe. Et que le Heat de demain a les moyens de marquer l’histoire du Basket plus que le LeBron James de Cleveland ne l’aurait fait tout seul. Abandonner une carrière perso qui aurait de toute façon été grandiose pour tenter le pari de former une équipe encore plus mythique, ça c’est une prise de risque.
Car même si LeBron n’avait jamais gagné en restant à Cleveland toute sa carrière, il était assuré d’avoir une place auprès des plus grands. Un joueur n’est pas meilleur parce qu’il a une bague au doigt. Non, le but du sport n’est pas de gagner mais de s’amuser. Le but de la compétition est de gagner. Et un bon joueur n’est pas nécessairement un bon compétiteur. Du moins pas pour moi. Si Jordan m’impressionne, ce n’est pas pour ce qu’il a gagné, mais pour ce qu’il a apporté au jeu. Il a joué au Basket comme personne d’autre, et je m’en tape de savoir s’il a battu tel ou tel mec pour savoir si c’est un grand joueur ou non.
Donc LeBron a fait le choix du jeu et non de la compétition, ce qui est tout à son honneur. Enfin, ce n’est pas si facile. Evidemment, c’est plus facile de vouloir jouer avec ses potes quand ils s’appellent Dwyane Wade ou Chris Bosh, et cette équipe de Miami a été bâtie par Pat Riley avant tout pour remporter des titres, ce qui ne serait pas pour déplaire aux trois intéressés. Bien sur, un tel rassemblement de talents implique des résultats. Quand on joue « entre potes » dans une des meilleures équipes du Monde, face aux meilleures équipes du Monde, il y a forcément attente de victoires. Aucun des trois n’est là pour se la couler douce, et tous ont envie de goûter, ou de regoûter, à la saveur d’un titre.
Cette équipe que beaucoup voient exploser en vol a pourtant les moyens d’être ultra-compétitive. Deux autres proches de James, Mike Miller et Zydrunas Ilgauskas, devraient arriver. Haslem a choisi de rester fidèle à l’état tatoué dans son dos, amenant apparemment avec lui son ancien coéquipier Juwan Howard, toujours utile. Mario Chalmers, meneur discret qui colle parfaitement avec Wade ou LeBron complète ce roster en construction. Les trois stars vont avoir autour d’elles un supporting cast solide, du niveau de celui de 2006 qui a vu le Heat décrocher son unique bannière.
Mais revenons-en à LeBron James. Il a fait ce qui était le mieux pour lui, sauf que bien qu’il sorte grand gagnant de ce changement d’équipe, il a sévèrement écorné son image. Quitter un état qui reposait sur lui financièrement et émotionnellement, qui comme son équipe était devenu trop dépendant de lui, allait de toutes façons être un choix qui lui serait reproché. Afin de partir en bons termes et se préserver de quelques critiques, un départ à l’amiable eût été la meilleure des solutions. Au contraire, James a fait un bon coup de pute à ses désormais anciens collaborateurs en les ridiculisant devant la nation entière, ce dont la ville de Cleveland se serait bien passée.
Pire encore, lui qui se voulait la star de l’intersaison s’est fait voler la vedette. Il se voyait le plus beau, influant sur chaque décision, sur chaque mouvement, sur chaque dollar impliqué dans les transactions estivales. Il n’en fut rien. Stoudemire a signé à New York, et surtout Bosh a signé à Miami. Il n’avait plus le choix. Accepter les projets brumeux des Knicks ou des Nets, rester seul à Cleveland, partir à Chicago en solo, ou rejoindre les rangs du Heat, une équipe déjà acquise à un autre. En annonçant la tenue de The Decision, James a perdu toute l’influence qu’il pouvait avoir sur le marché.
Du coup, non content de passer pour un traître, il passe pour un faible. Bien fait pour sa gueule. Ce qu’il a fait à la ville de Cleveland et surtout à ses coéquipiers en annonçant publiquement sa décision sans en avoir discuté en interne est bien trop égoïste pour qu’on puisse ressentir une quelconque compassion pour l’ex-Cavalier. Chris Bosh n’a guère été plus noble dans son départ, mais il n’a pas le statut ni l’importance du King. Il n’est qu’un all-star comme il y en a tant d’autres, alors que LeBron est déjà l’un des grands de l’histoire de la NBA. D’où un rang à tenir, et se mettre autant en avant implique un comportement plus responsable que celui qui a été celui de James depuis trop longtemps déjà, le point de non-retour étant bien évidemment cette émission.
Le pire est qu’il s’en sort bien, puisque pour son plus grand bonheur, son ancien fief va faire une erreur terrible. Dan Gilbert, le proprio des Cavs, le pourrit dans un communiqué aux fans, et le Clevaland Plain-Dealer le renie dans la une suivant son départ. Evidemment, il n’en faut pas plus pour que LeBron passe pour une victime, esclave d’une ville ingrate qui a profité de lui sans aucune reconnaissance. Ils auraient donc bien mieux fait de la boucler, car bien que James les ait salement enflés, ceci est loin d’être faux. Dan Gilbert n’aurait jamais pu monter l’équipe dont il dispose aujourd’hui sans le n°1 de la draft 2003, et son discours démago n'a d’autre but que de dissimuler aux fans sa propre incompétence à conserver son joueur. « 7 years in Cleveland. No rings » lance amèrement le Plain-Dealer. Par contre les Cavs, 40 years in the NBA, no banners, ça on l’oublie vite.
Amers, ils ont raison de l’être puisqu’ils viennent d’être les victimes d’un des évènements médiatiques les plus méprisables de l’histoire du sport. Ingrats, ils ont tort parce qu’ils n’ont pas offert à LeBron James autant que lui leur a apporté. Et dans cette histoire, seule la forme est dégueulasse, car l’Elu a fait un choix qui impose le respect. Je suis un grand fan des joueurs qui restent fidèles à leurs clubs, mais quand on y prête l’œil, la plupart d’entre eux ont la chance d’avoir débuté dans de grandes équipes. Magic, Bird, Pierce, Maldini, Raùl, Gerrard… J’admire énormément tous ces joueurs, et si The Akron Hammer avait pu gagner avec sa petite équipe dans le coin qui l'a vu naître, c'eût été splendide. N'empêche que la décision de James avait fait monter le bonhomme dans mon estime. Au milieu du pognon, des mercenaires, de la pression, des statistiques, du défi d’être le meilleur, d’un statut de superstar, de la compétition, se trouvait un gars qui avait choisi de jouer, tout simplement. Dommage que cette façon infâme de l’annoncer m’ait remis les pieds sur terre, avec devant moi un sale type au milieu d’autres sales types. Dire que j’avais failli y croire.
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« Tant que le joueur n'oublie pas le petit garçon qui préparait son sac le dimanche pour aller jouer, tant que le joueur a en lui ce petit garçon, il n'a rien à craindre. Mais souvent, les joueurs perdent ce petit garçon en route et finissent par croire qu'ils sont vraiment importants. Tout le monde leur dit donc ils finissent par le croire. »
Lilian Thuram
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