
Le 11 Avril 2003, le Heat de Miami rendait honneur à la carrière de Michael Jordan en suspendant son maillot dans le ciel de l’American Airlines Arena. Son jersey était alors le seul à surplomber le parquet que Dwyane Wade allait fouler l’année suivante. Aujourd’hui, il trône aux côtés de ceux de Tim Hardaway et d’Alonzo Mourning, les deux légendes de la franchise floridienne. Une franchise dont Jordan n’a jamais revêtu l’uniforme. A l’heure où des joueurs affirment qu’ils cesseront de porter le numéro fétiche de son Altesse, il me semble évident que le Heat avait à l’époque pris une décision que toute la NBA ferait bien de suivre, retirer le n°23.
Jordan, ému par un tel débat, a rejeté cette idée, refusant modestement de se placer au-dessus des autres légendes de la ligue. Mettant fin aux interrogations concernant son point de vue sur le sujet, il avait affirmé clairement ne pas vouloir voir son maillot retiré avant celui de joueurs comme Magic Johnson, Larry Bird ou Bill Russell. "Je suis dans la même catégorie que ces gars". Il n’en est pourtant rien. Comme l'a dit Magic, "Il y a Michael Jordan, et après il y a le reste, nous". Que ce soit médiatiquement ou sportivement parlant, Jordan n’appartient qu’à une catégorie de basketteur, la sienne.
Tout d’abord, d’un point de vue médiatique, Jordan jouit d’une image dont aucun basketteur avant ou après lui ne peut se vanter. Même quand on ne s’est jamais intéressé au Basket, on connaît Michael Jordan. Dès qu’on voit un gars faire une action spectaculaire sur un playground, on le chambre en invoquant le nom de sa Majesté, tout simplement parce que dans l’inconscient collectif, le Basket, c’est Jordan et personne d’autre. Chamberlain ? Abdul-Jabbar ? Ces noms sont aujourd’hui bien moins connus que celui de Kobe Bryant. Qui lui-même est bien loin d’être aussi familier que celui du n°23.
De plus, si les O’Neal et autre Iverson sont désormais bien plus ancrés dans les têtes qu’un Oscar Robertson ou qu'un Hakeem Olajuwon, c’est en grande partie dû à la médiatisation du Basket au niveau planétaire grâce à la carrière de Jordan, aussi bien aux Bulls qu’avec la Dream Team, offrant à ce sport et surtout à la NBA une visibilité qu’elle n’avait jamais connu en dehors des frontières de l’Oncle Sam. Mais même si les audiences mondiales de la ligue sont actuellement bien supérieures à celles des premières années post-Jordan, même si les stars d’aujourd’hui vendent bien plus de maillots que son Altesse, quand il entend le mot "Basket", un Terrien associera directement "Michael Jordan".
Tout simplement parce que Jordan n’est pas qu’une simple légende du Basket, mais bel et bien une légende du Sport, au même titre qu’un Muhammad Ali en boxe, ou qu’un Carl Lewis en athlétisme. Et aucun autre basketteur ne peut prétendre à un tel statut, quoique puisse en dire l’intéressé. Mais His Airness ne mérite pas de voir son jersey retiré simplement au vu de son image, car ce qu’il a apporté au Basket dans le jeu dépasse de loin ce qu’il a pu donner pour sa médiatisation. Le président des Bobcats a su dominer tous les aspects du jeu. Absolument tous.
Wilt Chamberlain, détenteur de la bagatelle de 72 records NBA, et pas des moindres, a été le premier joueur dominant de l’histoire. Par sa puissance physique et sa taille, il a écrasé ses adversaires sans jamais flancher, pouvant passer une saison en jouant plus de minutes en moyenne qu’un match en contient, marquer 100 points en une partie ou encore prendre 55 rebonds face à Bill Russell. Seulement, Wilt The Stilt n’a jamais été plus loin que ce monstre des raquettes parce qu’il n’a pas pu dompter le jeu. J’en veux pour preuve son 51% aux lancers en carrière : malgré son physique sans égal dans l’histoire du Basket, Chamberlain n’a jamais su maîtriser techniquement ce sport.
Quand il donne des exemples de joueurs au moins aussi bons que lui, Jordan mentionne Earvin Johnson. En effet, Magic avait une vision du jeu fantastique, tout autant que son jeu de passes, et restera sans doute comme un des plus grands de tous les temps. De plus, son avantage de taille au poste de meneur et son sens du rebond font que contrairement à Chamberlain, le n°32 des Lakers n’était pas un joueur unidimensionnel. Cependant, Magic a toujours trainé le boulet de son shoot longue distance, signe que lui non plus n’a pas outrepassé toutes les subtilités techniques du Basket.
Le fait est que contrairement à toutes les légendes du Basket, Jordan a dominé dans tous les domaines. Physiquement, comme Chamberlain –mais dans une moindre mesure- grâce à sa vitesse et surtout sa détente et son hangtime hors normes que la nature lui a offerts. Dans la vision du jeu comme Magic, personne n’ayant autant que His Airness la capacité de rendre les autres meilleurs. Dans la polyvalence, comme Robertson, Jordan sachant aussi bien scorer qu’aller au rebond ou passer, en plus de défendre comme personne. Dans la maîtrise technique, pas de souci, le Bull associant en plus l’explosivité dont n’a pas pu bénéficier Larry Bird. Et niveau palmarès, les 11 bagues de Russell ? Michael n'en a "que" 6, mais conquises avec une équipe qui a dominé comme aucune autre, à une période où il a dominé individuellement, chose que la légende des C's n'a jamais faite faute de Chamberlain. Et après tout, le record de victoire en majeurs n’appartient pas à Tiger Woods, mais pourtant c’est bien lui LA figure du Golf.
On a là le portrait du joueur le plus complet qui puisse exister. Ce serait toutefois bien réducteur, car là où Jordan surpasse tous les autres, et c’est cette dimension qui montre à quel point il est le seul à avoir totalement dompté le Basket-ball, c’est sa créativité. His Airness ne s’est jamais cantonné à ce qui existait déjà, a sans cesse amélioré son sport de gestes qu’il inventait, à force de travail ou simplement d’inspiration. Sa spontanéité et son génie lui ont permis de créer des moves hallucinants en plein match simplement par instinct pendant qu’Abdul-Jabbar et Olajuwon taffaient des heures au gymnase pour en créer un. Sur ce point-ci, Jordan me fait penser à Tony Hawk. Quand le Skate a subi une baisse d’intérêt, il a imaginé la quasi-totalité des figures qui existent aujourd’hui, et les a faites. Ce qui explique le respect qui l’entoure aujourd’hui. Jordan a développé une perfection technique des gestes du Basket, mais aussi des gestes dont il était l’auteur. C’est en ça que le Basket lui doit tout.
James Naismith a inventé le Basket-Ball, Michael Jordan l’a sublimé. Aucun autre ne l’a fait, et aucun autre n’a œuvré autant que lui pour sa reconnaissance. His Airness a incarné tous les aspects du jeu puis en a créé de nouveaux. Il a outrepassé les limites de ce sport, et ce dernier lui doit bien un petit remerciement. La façon de le faire ? Retirer son jersey partout. Seulement, le bonhomme est bien trop humble pour accepter un tel honneur. Que faire alors ? Attendre de pouvoir le faire à titre posthume ?
En fait, Jordan se refuse à cette idée parce qu’il ne veut pas se considérer comme supérieur aux autres joueurs. C’est donc à eux d’œuvrer pour qu’on rende un hommage digne de ce qu’il a apporté au Basket, et de demander le retrait du numéro 23. Si toutes les légendes de la NBA -et non les joueurs actuels- le réclament, le maillot de Jordan sera pendu au plafond de chaque salle des États-Unis. Etant donné que chacun y est allé de sa petite phrase pour décrire l’incroyable talent de l’arrière des Bulls, une telle idée ne devrait poser de problème à personne. Et puis s’il reste des sceptiques qui veulent porter le numéro de Jordan sur leur maillot, le 45 est toujours dispo.
En fait, je n’ai jamais été réellement fan du joueur ; chez les UnstoppaBulls je préfère largement Pippen. Mais je m’incline devant ce que cet homme a apporté à mon sport, et considère qu’il faut lui rendre la pareille en retour. Pour la manière, Jerry West fait un logo irremplaçable, et vu que la plupart des trophées portent déjà le nom d’un joueur (on ne va quand même pas nommer "Trophée Michael Jordan" le MVP du all-star game, gardons ça pour le Shaq à la limite) le meilleur hommage que l’on puisse rendre à la légende du Sport qu’est Michael Jordan, c’est faire ce qu’a fait le Heat de Miami il y aura bientôt 7 ans. Parmi les étoiles de chaque équipe brillera alors un maillot rouge, floqué du numéro 23.